- Âmîne Amēn
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Jeûner ok, mais faut doser
Quand une pratique de bonne foi est fourvoyée


Une newsletter sur la religion qui atterrit dans votre boîte mail aux aurores, ça peut en refroidir plus d’un. Et pourtant. Lever les yeux au ciel, scruter l’inconnu, on l’a tous fait. Des questionnements sans fin, souvent sans réponses. On l’a tous vécu. Cette part de mystère, d’impalpable. On l’a tous eu. Seulement à des degrés différents.
Loin d’être une profession de foi ou un papier d’évangile, nous avons l’espoir de croire, sans affirmer, que ces quelques minutes de lecture sur une actualité ramenée sous le prisme cultuel permettra un réveil en douceur. Saupoudré d’un brin de réflexion. Loin de la politique-politicienne fastidieuse et des sujets anxiogènes du quotidien.

Allez pour le premier numéro, on vous dévoile la tête de l’auteur… il est beau mon chat, n’empêche !
WINTER IS COMING, et les conseils pour perdre du poids aussi ! Des professionnels et des influenceurs se donnent à coeur joie pour vendre leur dernier jeûne miracle. Trop de la balle 🤩 Mais au fond, c’est quoi un jeûne et est-ce si bien qu’on le croît ?
Le jeûne, un précepte religieux…
Il a traversé les époques. Le jeûne est défini consensuellement comme une privation partielle ou complète de nourriture et de boisson. L’objectif est d’assainir l’organisme en éliminant les toxines. Il permettrait de perdre du poids, et d’alléger autant son corps que son esprit. Il existe des jeûnes à durée variable : 25 heures pour Yom Kippour (judaïsme) ou un mois pour le ramadan (islam).
Ses origines remontent bien avant J.-C. avec sa mention dans le Mahâbhârata et les Upanishad, deux principes issus de l’hindouisme. Dans l’Antiquité, Hippocrate et Aristote en font l’éloge pour ses bienfaits sur la santé. Par la suite, cette obligation de privation fut introduite dans les religions abrahamiques (carême, ramadan…) mais aussi dans les spiritualités asiatiques comme le bouddhisme.
À partir du XXe siècle, avec la sécularisation des sociétés et l’essor de la science, le jeûne religieux commence à décliner en popularité notamment en Occident. « On a vu que les argumentaires se déplacent de plus en plus vers des arguments non religieux et non théologiques », note Lucie Roche, spécialiste de la gestion des faits religieux en milieu professionnel.
… devenu source de dérives
Des nouvelles formes de jeûne ont pris le pas sur les anciennes. Bien moins spirituelles et plus tournées vers le fit body à avoir pour l’été. En quelques décennies, on a vu apparaître le jeûne intermittent, consistant à se priver pendant plusieurs heures sur une journée et en dupliquant la formule sur des mois. Exemple : je me contiens 20 heures et ne peut m’alimenter que 4 heures.
Plus récemment, on a assisté à l’émergence du jeûne hydrique qui a suscité un tollé sur les réseaux sociaux. Largement relayé par des influenceurs sur des plateformes comme TikTok, il consiste à s’empêcher de manger pendant plusieurs jours, avec l’eau comme seul exutoire. Le néophénomène suscite une importante désapprobation chez les professionnels de santé dont le Conseil national de l’Ordre des médecins.
Lou Leclair-Pronce, Jessika Denommée… moult influenceurs vantant ce jeûne exclusivement à base d’eau se sont retrouvés au coeur des polémiques. Le cas d’Eric Gandon a même viré au drame. Ce naturopathe français de 58 ans est mis en examen pour homicide involontaire, notamment pour le décès d’une femme de 44 ans. Elle suivait l’un des stages thérapeutiques assurés par Eric Gandon, qui consistait à suivre un jeûne hydrique. L’accusé est en attente de jugement et encourt jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Parole d’experte : Cécile Fanchon, diététicienne à Lille
Le jeûne est-il conseillé pour la santé ?
Dans les règles d'équilibre de vie, surtout pas. En temps normal, on finit de digérer ces aliments en moyenne au bout de 2h30-3h, on est totalement à jeun au bout de 7h30-8h. Avec un jeûne, on arrive à un moment où il n'y a plus rien dans le sang pour faire fonctionner les organes vitaux. L'organisme cherche à se protéger en fabriquant sa propre énergie.
Vous allez dégrader des acides gras et c'est une bonne nouvelle pour la plupart des gens, puisque vous allez perdre du poids très rapidement. Mais cela va dégrader la qualité de protéines permettant de protéger l'organisme. Il y a par conséquent une dégradation de la masse musculaire.
Quel regard portez-vous sur le jeûne intermittent?
Le danger est qu’il coupe les récepteurs de la douleur. Par exemple, si vous faites un jeûne intermittent et que vous faites du sport à côté, vous pouvez vous faire très mal mais sans sentir la douleur. Également, si vous avez une pathologie qui consomme des protéines, comme un cancer, et bien vous allez dégrader votre masse musculaire. Du coup, vous avez le risque de mourir plus vite.
Ce sont des phénomènes de mode. Le régime a toujours été quelque chose à la mode. Les gens sont prêts à faire n'importe quoi pour perdre du poids.
Le problème qu'on a actuellement, ce sont tous ces influenceurs qui donnent des conseils diététiques alors qu'ils ne devraient pas. En les écoutant, les jeunes risquent de tomber dans des troubles du comportement alimentaire, car vous avez une sensation de bien-être. On a une force pas possible. Du coup vous êtes sous dépendance, cela veut dire que vous avez un profil à l'addiction et que vous devenez plus facilement manipulable.
Vox populi

Iman est musulmane et a pratiqué le ramadan à trois reprises. Elle apprécie cette période car elle se « rapproche de Dieu et de la foi ». Cependant, elle ne néglige pas certains maux de tête et des phases de « grosses fatigues » en journée. Hormis le jeûne religieux, elle est sceptique sur les nouvelles formes : “il y a d’autres manières de détoxifier son corps”.
Lisa a effectué un jeûne intermittent en 2020, où elle s’est privée de dîner pendant plusieurs mois. Elle confesse « avoir suivi la tendance » en ayant vu « des vidéos d’influenceuses ». Elle alerte sur les dérives : « après le jeûne, je continuais à perdre du poids et c’était pas très sain. » Elle ajoute que « les bienfaits n’ont pas vraiment été prouvés ».
Johan est de confession juive. Pour la première fois, il a réalisé le jeûne du Yom Kippour le 11 octobre dernier. Il a observé des bienfaits sur son état : se sentir « plus léger » et être plus productif dans ses tâches. Il compte reproduire ce jeûne ultérieurement et le conseille aux autres à condition de « le respecter vraiment ».
Qu’en pensent les livres ?

Mishna Yoma 8,2
« Celui qui mange le volume d’une grosse datte – fruit et noyau compris – ou qui boit une pleine gorgée est coupable... »

Bible : Nouveau Testament : Matthieu 6 : 16-18
« Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se rendent le visage tout défait, pour montrer aux hommes qu'ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. »

Coran : Sourate 2, verset 183
« Ô les croyants ! On vous a prescrit le jeûne comme on l’a prescrit à ceux d’avant vous, ainsi attendrez-vous la piété. »

Comment vous expliquez que des personnes optent pour des nouvelles formes de jeûne comme l’hydrique ?