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Tatouer pour l'éternité
Le tatouage devient-il un sacro-saint ?


“Parler de religion au réveil, il est sérieux lui ! Moi le matin, je veux qu’on me parle des dernières infos politiques, internationales, économiques… Je bois mon café en express, j’ai pas que ça à faire qu’on me bassine avec Dieu.”
C’est entendable. Une newsletter sur la religion qui atterrit dans votre boîte mail aux aurores, ça peut en refroidir plus d’un. Et pourtant. Lever les yeux au ciel, scruter l’inconnu, on l’a tous fait. Des questionnements sans fin, souvent sans réponses. On l’a tous vécu. Cette part de mystère, d’impalpable. On l’a tous eu. Seulement à des degrés différents.
Loin d’être une profession de foi ou un papier d’évangile, nous avons l’espoir de croire, sans affirmer, que ces quelques minutes de lecture sur une actualité ramenée sous le prisme cultuel permettra un réveil en douceur. Saupoudré d’un brin de réflexion. Loin de la politique-politicienne fastidieuse et des sujets anxiogènes du quotidien.
Confessons-le, Âmîne Amēn a pour intime volonté d’informer et de vider nos pensées “vers l’infini et proche de l’au-delà”.

Allez pour le premier numéro, on vous dévoile la tête de l’auteur… il est beau mon chat, n’empêche !
Tatouage et religion, frères ennemis ?
Se faire tatouer le portrait du diable ou le triangle Illuminati, c’est bien vu mon Père ? Spoiler, non. Le tatouage ne fait pas partie des sujets les plus en vogue dans l’actualité cultuelle, ce qui n’empêche pas d’être bien ancré dans l’histoire des religions.
Sa perception est diverse selon les pays, due en grande partie aux coutumes ultra ancestrales, existantes parfois avant l’implantation de la religion. Le tatouage amazigh (traditionnellement sur le visage des femmes issues des tribus berbères) remonte à l’ère préislamique dans la région du Maghreb. Dans les pays majoritairement bouddhistes (Thaïlande, Cambodge etc.), les Sak Yant sont des tatouages sacrés, que même les moines se targuent d’avoir.
Bref, plus il y a de cultures, plus l’interprétation sur les tatouages diffèrent. Rejetés dans un lieu, ils peuvent être perçus d’un bon œil dans un autre. Sans oublier que les siècles passent, et que la position de certaines institutions évoluent vers une plus grande tolérance de la pratique.

Sophie Gherardi : “Le tatouage n’est pas interdit, mais ce n’est pas dans les traditions”
Curriculum vitae : Sophie Gherardi, fondatrice du Centre d’Etude du Fait Religieux Contemporain et du site Fait-religieux.com, ancienne rédactrice en chef de Courrier international et du Monde, autrice de Péchés capitaux : le roman de la crise financière (2009).
“En théorie, altérer au corps n’est pas si bien considéré. C’est la chair. On n’a pas à le toucher. Dans les religions monothéistes, il y a une forte méfiance envers l’ornement de manière globale. On est considérés comme des créatures de Dieu, donc il faut respecter le corps qui nous est donné.
Cependant, aucune des religions interdit littéralement le tatouage. Il n’est pas interdit, mais ce n’est pas dans les traditions. En Egypte, il existe une communauté de chrétiens qui se tatouent le poignet de manière à se reconnaître entre eux. Dans les pays asiastiques, religion et tatouage peuvent même faire la paire. Par exemple, on retrouve dans les premières civilisations nippones, des traces de tatouages qui faisaient souvent office de protection sprituelle.
Dans l’islam, les tatouages très traditionnelles sont valorisés chez certains peuples comme les berbères en Afrique du Nord. Sur le front, le menton… Cela remonte à des origines préislamiques, dont la religion n’a pas entraîné la disparition. La pratique s’est raréfiée certes, mais perdure.”


Père Ngamo, prêtre du diocèse de Créteil et vicaire à Notre-Dame de Vincennes
Quand on se tatoue, c'est qu'on veut inscrire dans sa chair une information. L'idée du tatouage, c'est de porter sur soi, dans son corps et dans sa vie, une information qui peut avoir de la valeur pour soi. Qui peut avoir aussi de la valeur pour un groupe ou dans ce qu'on comprend de sa relation avec Dieu. C'est une information qu'on porte, mais aussi une information qu'on communique.
Donc de quel regard voyez-vous cette pratique ?
Je le répète, c'est une information. Ça veut dire que le tatouage, en soi, ne pose pas de problème. C'est relativement neutre. Un tatouage n'est ni bon ni mauvais. Par contre, l'information que le tatouage va colorer celui-ci est importante.
Si vous vous tatouez une croix gammée sur le corps, ce n'est pas tout à fait la même chose que se tatouer un cœur. Si vous avez une croix gammée sur le corps, l'information que vous portez va vous apparenter au parti nazi et avec toutes les connotations qu'il y a derrière. Si vous vous promenez dans les rues de Vincennes, vous prenez un risque. Par contre, si vous vous tatouez un cœur, les gens sont plutôt contents lorsqu'on leur parle d'amour. L'amour, c'est quelque chose qui est plutôt bien accueilli, quelles que soient les convictions religieuses et politiques. Vous n'aurez pas de « difficultés » si vous vous tatouez un cœur.
Il n'y a aucun problème à ce qu’un prêtre soit tatoué ?
J'ai un confrère prêtre qui est tatoué de la tête aux pieds, ça ne pose pas de problème. Ça peut être surprenant c'est vrai, mais ce n’est pas le tatouage qui va poser problème. C'est l'information portée par le tatouage qui est fondamentale, même si je dois reconnaître que j'ai, à titre personnel, une certaine méfiance pour tout ce qui va toucher au sang.
Quand vous vous tatouez quelque chose sur le corps, c’est permanent. Du coup, il y a un vrai discernement à avoir. Il ne faut pas se tatouer n'importe quoi sur le corps. Si dans un élan de colère, vous vous tatouez un message de haine et qui ne s'en va pas, ça peut poser problème.
Que voulez-vous dire par « un vrai discernement à avoir » ?
Dans la culture juive par exemple, le sang représente un peu l'âme d’une personne. Tout ce qui va toucher au sang, on lie quelque chose au tatouage à notre intimité la plus profonde. A notre identité fondamentale. Autant dans le judaïsme que dans le christianisme, il y a une prudence. Une prudence qui, par moments, s'est transformée en méfiance. Cela peut s'entendre, parce que le tatouage n’engage pas simplement une information qu'on met sur soi, ça engage aussi toute la personne qu'on est.
Le micro universel

Félix est de confession protestante. Croyant, mais pas pratiquant. Pour lui, il n’y a “aucun rapport” entre la religion et le fait d’être tatoué. Il voit en réalité le tatouage comme un effet de mode : “Dans les années 1980, il n’y en avait pas”. A la question si ça le dérangerait qu’un pasteur soit tatoué, il répond : “Je ne sais pas”.
Omar est un musulman croyant et pratiquant. Il considère que le corps “est un dépôt” et que se faire tatouer s’apparente à de la “mutilation, c’est une douleur qu’on s’inflige”. Même s’il nuance, en voyant d’un bon oeil les tatouages éphémères traditionnels comme le henné, car “pas douloureux”.
Nancy et Paul se détournent du catholicisme au fil des années. Ils confient remettre leur foi de plus en plus en question. Pour eux, il n’a pas de lien entre la religion et le tatouage. Pour Nancy, un tatouage “c’est comme un bracelet”, il n’y a pas de jugement à émettre dessus.
Qu’en pensent les livres ?

Torah écrite : Lévitique (Vayikra) 19 : 28
Torah écrite : Lévitique (Vayikra) 19 : 28
« Ne tailladez point votre chair à cause d'un mort, et ne vous imprimez point de tatouage: je suis l'Éternel. »

Bible : Nouveau Testament : Romains 12:1
Bible : Nouveau Testament : Romains 12:1
« Présente[z] vos corps comme un sacrifice vivant, saint et que Dieu peut approuver : un service sacré que vous offrez en utilisant votre raison. »

Coran : Sourate An Nissa, verset 119
Coran : Sourate An Nissa, verset 119
« Jе lеur соmmаndеrаі, еt іlѕ аltérеrоnt lа сréаtіоn d’Аllаh. Еt quісоnquе рrеnd lе Dіаblе роur аllіé аu lіеu d’Аllаh, ѕеrа, сеrtеѕ, vоué à unе реrtе évіdеntе. »

Comment percevez-vous le tatouage en tant que prêtre catholique ?